La perte des acquis pendant les interruptions scolaires

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Interruptions scolaires :
Que nous disent les études sur le « recul estival » et que peut-on en déduire dans le contexte de l’interruption liée aux mesures sanitaires ?

Publié le 7 mai 2020


COLLABORATION SPÉCIALE

Un texte de Véronique Dupéré, Isabelle Archambault et Kristel Tardif-Grenier.

Réseau réussite Montréal sollicite des chercheurs et chercheuses sur certains aspects de la persévérance scolaire liés à la crise actuelle. Un grand merci à chacun d’eux pour leur collaboration à notre dossier spécial COVID-19 et réussite éducative.


Un recul qui creuse les écarts | Une interruption prolongée et des ressources limitées | Des pistes de solutions | Les autrices

Les enseignantes et les enseignants savent que pendant la longue pause estivale, leurs élèves perdent certains acquis scolaires, et prévoient ainsi une période de révision en début d’année.

Les travaux de recherche montrent qu’ils ont raison : en moyenne, au Canada comme ailleurs dans le monde, les élèves tendent à régresser pendant les mois d’été (Alexander et al., 2007; Davies et Aurini, 2013; Davies et al., 2015; Lindahl, 2001).

Un recul inégal: l’écart se creuse au détriment des élèves de milieux défavorisés

L’expression en moyenne cache néanmoins des variations importantes. En effet, si le recul au niveau des acquis scolaires est relativement modeste pour la plupart des élèves, il est nettement plus prononcé pour certains et inexistant pour d’autres, certains élèves affichant même des gains durant la période estivale.

Alors que les élèves de milieux favorisés sont beaucoup plus susceptibles de tomber dans ces dernières catégories, ceux qui régressent le plus tendent davantage à provenir de familles à faible revenu. L’écart entre les élèves de milieux favorisés et défavorisés se creuse donc pendant l’été, lorsque les élèves ne sont pas à l’école, ce qui n’est pas le cas pendant les mois de fréquentation scolaire.

Comparativement à leurs pairs de milieux défavorisés, l’avantage des élèves de milieux favorisés en matière de résultats et de persévérance scolaire proviendrait donc en proportion substantielle de l’accumulation d’expériences d’apprentissage supérieures, été après été (Alexander et al., 2007).

COVID-19 : une interruption supplémentaire pour l’année scolaire 2019-2020

La crise sanitaire actuelle de la COVID-19 pourrait toutefois contribuer à accroître ces écarts. À la rentrée 2020, les élèves du Québec cumuleront des reculs associés non seulement à l’arrêt prolongé habituel des mois de juillet et août, mais aussi à celui imposé par la pandémie.

Les besoins de rattrapage seront donc susceptibles d’être beaucoup plus prononcés que lorsque le calendrier scolaire normal est en vigueur, en particulier pour les sous-groupes d’élèves qui sont, bon an mal an, les plus touchés par le phénomène.

Une interruption prolongée et un accès limité aux ressources

Même les élèves qui maintiennent d’ordinaire leurs acquis en période d’interruption prolongée n’y arriveront peut-être pas cette fois ci. Ceci non seulement en raison de la longueur exceptionnelle de ces interruptions, mais aussi parce que certains enfants n’ont actuellement pas accès aux ressources nécessaires, ordinateurs, connexion Internet ou autre source de soutien scolaire ou émotionnel, pour poursuivre leur scolarisation.

Ceux qui fréquentent habituellement les camps, les bibliothèques, les musées, ou autres activités stimulantes culturelles, sportives ou scientifiques n’auront pas non plus bénéficié de ces services pendant la période de confinement, contribuant ainsi à l’accumulation de retards.

Pour ces raisons, certains chercheurs estiment que cette année, les élèves n’auront retenu que de 50 % à 70 % des contenus qu’ils acquièrent en mathématique et en lecture lors d’une année scolaire typique (Kuhfeld et Tarasawa, 2020).

Apprendre du « recul estival » pour réfléchir aux pistes de solutions

Afin de répondre aux besoins de rattrapage à la rentrée, différents types de solutions proposés dans les écrits scientifiques pour atténuer le « recul estival » pourraient s’avérer pertinentes (Cooper, 2003; McCombs et al., 2011).

Révision du calendrier scolaire

Certaines de ces solutions concernent le calendrier scolaire, qui pourrait être allongé ou reconfiguré afin d’éviter les longues interruptions. D’autres solutions ne requièrent pas de changer le nombre de jours d’école au calendrier, mais plutôt d’augmenter le nombre d’heures d’enseignement par jour.

Augmentation de l’accès aux programmes estivaux d’enrichissements et aux cours d’été

Une autre piste, qui cette fois ne nécessite pas de changements au fonctionnement scolaire pendant les mois d’école, suggère plutôt de bonifier l’offre et l’accessibilité de programmes estivaux d’enrichissements et de cours d’été (Davies et al., 2020).

Cette dernière solution, attrayante en raison de sa flexibilité, n’est toutefois pas magique. Plusieurs conditions doivent en effet être réunies pour permettre de vrais apprentissages. Par exemple, des travaux de recherche suggèrent que pour être efficaces, ces interventions doivent s’étaler sur plusieurs semaines, être confiés à du personnel qualifié, et intégrer des activités récréatives (Alexander et al., 2016; Davies et al., 2020). De plus, il n’est pas clair que les programmes recensés dans les écrits pourraient être efficaces à distance.

Dépistage des jeunes à risque

Enfin, indépendamment des scénarios retenus, des mesures devraient être mises en œuvre dès maintenant pour identifier et accompagner les enfants et les adolescents à soutenir en priorité, y compris pendant l’été.

Dans un contexte où pour une grande proportion des jeunes du Québec, l’école ne reprendra pas avant septembre, seuls des efforts substantiels impliquant tous les acteurs de la communauté peuvent contribuer à réduire les retards et les inégalités.

Autrices

VÉRONIQUE DUPÉRÉ

Professeure agrégée
École de psychoéducation, Université de Montréal
Chaire de recherche du Canada sur la transition à l’âge adulte
Chaire Myriagone McConnell-Université de Montréal en mobilisation des connaissances jeunesse

Chercheuse
Institut de recherche en santé publique de l’Université de Montréal
Institut universitaire Jeunes en difficulté
Groupe de recherche sur les environnements scolaires

 

ISABELLE ARCHAMBAULT

Professeure agrégée
École de psychoéducation, Université de Montréal
Chaire de recherche du Canada sur l’école, le bien-être et la réussite éducative des enfants
Chaire Myriagone McConnell-Université de Montréal en mobilisation des connaissances jeunesse

Chercheuse
Centre interdisciplinaire de recherche sur le cerveau et l’apprentissage (CIRCA)
Institut universitaire Jeunes en difficulté
Groupe de recherche sur les environnements scolaires

 


KRISTEL TARDIF-GRENIER

Professeure
Département de Psychoéducation et de Psychologie, Université du Québec en Outaouais

Chercheuse
Institut universitaire Jeunes en difficulté

 

 

 


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Références

Alexander, K., Pitcock, S. et Boulay, M. C. (2016). The summer slide: What we know and can do about summer learning loss. Teachers College Press.

Alexander, K. L., Entwisle, D. R. et Olson, L. S. (2001). Schools, achievement, and inequality: A seasonal perspective. Educational Evaluation and Policy Analysis, 23, 171-191.

Alexander, K. L., Entwisle, D. R. et Olson, L. S. (2007). Lasting consequences of the summer learning gap. American Sociological Review, 72, 167-180.

Cooper, H. (2003). Summer learning loss: The problem and some solutions. Champaign, IL: Children’s Research Center, University of Illinois and ERIC Clearinghouse on Elementary and Early Childhood Education

Cooper, H., Nye, B., Charlton, K., Lindsay, J. et Greathouse, S. (1996). The effects of summer vacation on achievement test scores: A narrative and meta-analytic review. Review of Educational Research, 66, 227-268.

Davies, S. et Aurini, J. (2013). Summer learning inequality in Ontario. Canadian Public Policy, 39, 287-307.

Davies, S., Aurini, J. et Milne, E. (2020). Summer learning: Classic, new, and future research. Dans S. H. Bae, J. L. Mahoney, S. Maschke & L. Stecher (dir.), International Developments in Research on Extended Education: Perspectives on extracurricular activities, after-school programmes, and all-day schools (p. 193-210). Opladen, Germany: Verlag Barbara Budrich.

Davies, S., Aurini, J., Milne, E. et Pierre, J. J. (2015). Les effets des programmes d’été de littératie: Les théories sur les opportunités d’apprentissage et les élèves «non traditionnels» dans les écoles de langue française en Ontario. Canadian Journal of Sociology, 40, 189-222.

Downey, D. B., von Hippel, P. T. et Broh, B. A. (2004). Are schools the great equalizer? Cognitive inequality during the summer months and the school year. American Sociological Review, 69, 613-635.

Kuhfeld, M. et Tarasawa, B. (2020). The COVID-19 slide: What summer learning loss can tell us about the potential impact of school closures on student academic achievement Portland, OR: NWEA.

Lindahl, M. (2001). Summer learning and the effect of schooling: Evidence from Sweden. Bonn, Germany: Discussion paper, Institute for the Study of Labor.

McCombs, J. S., Augustine, C. H., Schwartz, H. L., Bodilly, S. J., McInnis, B., Lichter, D. S. et Cross, A. B. (2011). Making summer count: How summer programs can boost children’s learning. Santa Monica, CA: Rand Corporation.

Patall, E. A., Cooper, H. et Allen, A. B. (2010). Extending the school day or school year: A systematic review of research (1985–2009). Review of Educational Research, 80, 401-436.

Sandberg Patton, K. L. et Reschly, A. L. (2013). Using curriculum‐based measurement to examine summer learning loss. Psychology in the Schools, 50, 738-753.