RÔLE PROTECTEUR DE L’ACTIVITÉ PHYSIQUE

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L’ASSOCIATION PROSPECTIVE ENTRE LE TEMPÉRAMENT DIFFICILE AINSI QUE L’ADVERSITÉ FAMILIALE ET LES DIFFICULTÉS INTÉRIORISÉES, EXTÉRIORISÉES ET SCOLAIRES AU DÉBUT DE L’ADOLESCENCE : RÔLE PROTECTEUR DE L’ACTIVITÉ PHYSIQUE

 

COLLABORATION SPÉCIALE

Un texte de Fatima Alawie, étudiante au doctorat en psychoéducation, à l’Université de Montréal


Dans le cadre de sa thèse doctorale dirigée par Véronique Dupéré et Elizabeth Olivier, la doctorante Fatima Alawie a examiné, à partir de l’Étude longitudinale du développement des enfants du Québec (ELDEQ), si l’activité physique pouvait réduire les difficultés intériorisées et extériorisées chez les jeunes adolescents avec un tempérament difficile et exposés à deux formes d’adversité familiales (faible revenu, dysfonctionnement familial). Mme Alawie nous présente ici la synthèse de ses résultats.

 

Activité physique et réussite éducative

L’activité physique correspond à des mouvements corporels résultant en une augmentation de la dépense énergétique (Rhodes et al., 2017). L’activité physique devrait être pratiquée, en moyenne, 60 minutes par jour pour les jeunes faisant la transition de l’école primaire à l’école secondaire (Bull et al., 2020).

Lorsque l’activité physique est pratiquée conformément à ces recommandations, elle est associée à des bénéfices sur la santé physique et mentale, ces derniers étant même plus prononcés pour les jeunes plus vulnérables (Vandell et al., 2015). Plusieurs mécanismes physiologiques et psychosociaux offrent des explications potentielles de ces bénéfices.

Sur le plan physiologique, l’activité physique contribue à des changements cérébraux impliqués dans la régulation du stress (aan het Rot et al., 2009). Cette meilleure régulation permet à l’organisme de faire face aux stresseurs physiques et mentaux contribuant ainsi à la réduction des risques de développer des symptômes dépressifs et anxieux (Anderson et Shivakumar, 2013; Brosse et al., 2002). L’activité physique permet également la libération de certaines hormones telles que la norépinéphrine, la dopamine, la sérotonine, ainsi qu’une diminution de la pression artérielle (Malhotra, 2019). Cette libération améliore les fonctions exécutives et le contrôle des impulsions permettant la réduction de certains comportements liés à l’hyperactivité, l’inattention, et de l’agressivité physique (Verburgh et al., 2014; Vysniauke et al., 2020; Wigal, 2013).

Sur le plan psychosocial, la pratique de l’activité physique, surtout dans un cadre organisé, favorise la résilience chez les jeunes plus vulnérables selon l’approche du développement positif des jeunes (Positive Youth Development; Hermens et al., 2017; Holt et al., 2017). L’approche du développement positif des jeunes se concentre sur le potentiel des jeunes et de son interaction avec des expériences sociales positives, permettant ainsi le développement des 5C soit la connexion, la compétence, la confiance, le caractère et le caring (bienveillance; Lerner et al., 2005).

L’activité physique est l’une de ces expériences sociales positives qui peuvent contribuer surtout à soutenir le développement de certaines composantes des 5C, soit la compétence, la confiance et la connexion (Holt et al., 2017). Ces trois composantes clés contribuent potentiellement à réduire les affects négatifs chez les jeunes au tempérament difficile, issus d’une famille à faible revenu et exposés à un dysfonctionnement familial (Super et al., 2018). La relation de qualité développée entre les jeunes, l’entraîneur, un adulte significatif et/ou les pairs permet le développement des compétences de vie contribuant à l’augmentation du sentiment de confiance et de compétence des jeunes.

Les compétences de vie peuvent être personnelles (ex., autorégulation, résolution de problèmes) ou sociales (ex., maitrise de soi, respect des règles) et peuvent être transférées à d’autres contextes de vie plus difficiles (Gould et Carson, 2008; Holt et al., 2017). Par exemple, les compétences d’autorégulation acquises grâce à l’activité physique peuvent contribuer à la réduction des problèmes intériorisés et extériorisés chez les jeunes au tempérament difficile, tandis que les compétences sociales peuvent contribuer à la réduction des problèmes extériorisés chez les jeunes exposés à l’adversité familiale.

Dans l’ensemble, bien que certaines composantes des 5C mises en pratique par l’activité physique puissent contribuer à réduire les problèmes intériorisés et extériorisés chez les jeunes avec un tempérament difficile, exposés à un dysfonctionnement familial et issus de familles à faible revenu, cette question demeure à être évaluée.

 

Investigation du rôle protecteur de l’activité physique pour un échantillon de jeunes à risque effectuant la transition de l’école primaire à l’école secondaire

Dans le cadre de sa thèse doctorale dirigée par Véronique Dupéré et Elizabeth Olivier, la doctorante Fatima Alawie a examiné les associations entre le tempérament difficile à 17 mois, l’exposition à deux formes d’adversité familiale à 12 ans (faible revenu, dysfonctionnement familial) et les problèmes intériorisés (anxiété, dépression) et extériorisés (agressivité physique, hyperactivité-inattention) à 13 ans. Un second objectif de l’étude était d’examiner si la durée de l’activité physique évaluée à 13 ans contribuait à réduire les risques de développer des problèmes intériorisés et extériorisés chez ces jeunes vulnérables sur les plans personnels et familiaux.

Afin d’atteindre cet objectif, des participant(e)s provenant de l’ELDEQ ont été suivis. L’ELDEQ a été coordonnée par la Direction Santé de l’Institut statistique du Québec en 1997-1998. Les données collectées dans le cadre de cette étude ont permis de documenter l’adaptation psychosociale et scolaire des jeunes effectuant la transition de l’école primaire à l’école secondaire. Depuis 1998, l’ELDEQ suit une cohorte de 2120 enfants initialement âgés, en moyenne, de cinq mois et issus de mères résidant au Québec.

La présente thèse s’est concentrée sur les données recueillies auprès d’un sous-échantillon de 1312 jeunes (53 % filles; 47 % garçons) âgés de 17 mois, de 12 et 13 ans, soit avant et après le passage à l’école secondaire. Les résultats de l’étude ont montré des variations quant à l’effet protecteur de l’activité physique sur les différentes dimensions de l’adaptation des jeunes.

 

Sur le plan des problèmes intériorisés

Une durée élevée de la pratique d’activité physique est liée à une réduction des symptômes dépressifs, corroborant ainsi plusieurs études ayant montré les bénéfices de l’activité physique dans la réduction des symptômes dépressifs chez la population adolescente (Biddle et al., 2019; Panza et al., 2020).

Une plus faible durée de l’activité physique est liée à une augmentation des symptômes anxieux chez les jeunes avec un tempérament difficile, ce qui démontre un effet protecteur de l’activité physique. Lors de la transition de l’école primaire à l’école secondaire, les activités parascolaires ou de groupe comme l’activité physique permettent la création de liens avec de nouveaux pairs et adultes de l’école secondaire, ce qui contribue à réduire l’anxiété associée à la nouveauté de la transition scolaire (Oberle et al., 2019). Ces occasions de créer de nouvelles relations par l’intermédiaire de l’activité physique peuvent être bénéfiques pour les jeunes avec un tempérament difficile présentant certaines difficultés dans l’établissement de relations sociales (Borowski et al., 2021).

 

Sur le plan des problèmes extériorisés

Une durée élevée de la pratique de l’activité physique est liée à une augmentation des risques de développer des problèmes d’agressivité physique chez les jeunes exposés à un dysfonctionnement familial. Bien que ces résultats soient surprenants, ils corroborent d’autres études ayant montré que certains types de sports pratiqués au début de l’adolescence (ex., sport organisé de contact) valorisant l’agressivité et la compétition pour atteindre le succès peuvent être associés à des problèmes extériorisés, notamment l’agressivité physique et la délinquance (Beaver et al, 2016; Kreager, 2007; Wilson et al., 2010).

Considérant l’influence des valeurs véhiculées par l’environnement sur les jeunes adolescents, ces jeunes peuvent être plus à risque d’adhérer aux comportements de l’activité physique misant sur la force et l’agressivité en contexte sportif et en dehors de celui-ci comme lorsqu’ils font face à des difficultés quotidiennes au sein de leur famille (Kreager, 2007). L’adhésion à ces valeurs peut être plus prononcée pour les jeunes exposés à des facteurs de risque (ex., manque de soutien familial), puisque, comparativement à leurs pairs, ceux-ci ont des sentiments plus élevés d’incompétence, d’exclusion sociale et une diminution de l’ambition, ces caractéristiques pouvant être renforcées lors de la pratique de l’activité physique misant sur la compétence et l’agressivité (Haudenhuyse et al., 2014; Super et al., 2017).

Les jeunes vulnérables ont aussi tendance à participer davantage à des sports non organisés qui, comparativement aux sports organisés, misent moins sur la compétition et l’établissement de règles de jeux (Kinder et al., 2020). Malgré les bénéfices que ce type de sports peut procurer (ex., créativité, autonomie), l’absence de supervision adulte quelquefois retrouvée dans ce type de sports peut augmenter les risques d’agressivité physique de ces jeunes, surtout lorsqu’encouragée par les pairs et lorsque les jeunes bénéficient peu de soutien familial contrecarrant l’utilisation de l’agressivité (Kinder et al.,2019; Mutz,2012; Powers et al., 2022).

La durée de l’activité physique n’est pas associée à l’hyperactivité-inattention des jeunes adolescents, ce qui contredit certaines études ayant trouvé des associations négatives entre ces deux concepts lorsque certaines conditions étaient présentes (Williams et al., 2019). Les conditions permettant à l’activité physique de réduire les risques de l’hyperactivité-inattention impliquent que l’activité physique soit de type organisée, d’intensité modérée, d’une durée de 30 minutes, et qu’elle soit pratiquée plusieurs fois dans une durée donnée (Lambez et al., 2020; Liang et al., 2021). Les résultats de la présente étude peuvent s’expliquer par le fait que seule la durée de l’activité physique organisée et non organisée a été évaluée, et ce, sans faire de distinction entre ces deux types d’activités. De plus, l’activité physique a été évaluée à un seul point dans le temps, soit à 13 ans.

 

En conclusion

En somme, l’activité physique est un facteur protecteur et un facteur de risque pour certains jeunes vulnérables.

Les bénéfices de l’activité physique pour les jeunes avec un tempérament difficile soutiennent l’importance de sa promotion auprès des parents et des écoles, et ce, particulièrement lors de la transition de l’école primaire à l’école secondaire.

L’association trouvée entre l’activité physique et l’agressivité physique indique l’importance de reconnaitre les potentiels côtés négatifs de l’activité physique et d’envisager des avenues pour les réduire.

Ces avenues impliquent la promotion d’une culture sportive misant sur la persévérance et la coopération plutôt que sur la compétition et l’agressivité. L’absence du rôle protecteur de l’activité physique en lien avec l’hyperactivité-inattention implique la mise en place de certaines conditions de l’activité physique permettant la réduction de cette difficulté chez certaines jeunes plus vulnérables.

En conclusion, bien que cette étude ait montré des effets bénéfiques de l’activité physique pour certains jeunes, il demeure important de continuer à souligner l’importance du travail conjoint entre les jeunes, les milieux familiaux et scolaire dans l’adaptation des jeunes, surtout ceux qui sont vulnérables. Rappelons que les besoins de base de sécurité et de stabilité doivent être comblés afin que ces jeunes puissent s’autoactualiser et bénéficier d’un développement optimal.

 

Pour aller plus loin

Lire l’article : Alawie, F., Olivier, E. et Dupéré, V. (2024). Can physical activity protect young adolescents with difficult temperaments and exposed to family adversity from internalizing and externalizing problems? Yes, But…. The Journal of Early Adolescence,0 (0), 1-29. https://doi.org/10.1177/02724316231224812

 

Auteure

Fatima Alawie , Étudiante au doctorat en psychoéducation, option recherche, à l’Université de Montréal